22
Fév

La cocréation ou le design au service de la vente

La cocréation est la démarche marketing qui invite le consommateur à participer à l’élaboration du produit (ou du service) qui lui sera vendu. C’est cette approche que Regis Lemmens a défendue pendant une journée de formation, organisée à Lille dans le cadre de TRIPOD (projet Interreg de coopération transfrontalière France-Wallonie-Vlaanderen). L’événement se déroulait dans le cadre doré, cosy et fastueux de la Chambre de Commerce de Lille. Une vingtaine de participants, designers et consultants pour la plupart, ont bénéficié de cette formation autour de la méthode de cocréation. Régis Lemmens, notre expert du jour, n’est pas designer, mais ingénieur de gestion. Il enseigne dans plusieurs universités et hautes écoles belges, néerlandaises et anglaises. Sur la théorie, nous avons droit à la crème. Sur la pratique aussi, puisqu’à travers sa société Sales Cube, il a conseillé un certain nombre de très grandes sociétés : BNP Paribas, Sony, ERGO ou Beckaert.

Conscientiser le changement

Nous savons tous, à divers degrés, que la société, les marchés et les clients changent. Lors d’un premier exercice, Régis nous a invités à en prendre acte plus concrètement, en notant les évolutions que nous avons constatées sur ces 5 à 10 dernières années. Installés par tables de 5 à 6, nos débats ont épuisé les piles de post-its. Toutes nos observations cadraient plus ou moins avec l’analyse de Régis. Dans une démonstration émaillée d’anecdotes liées aux expériences de Philips, KBC ou Lays, il a groupé tous ces changements en 4 ensembles : la polarisation entre le low cost et la haute valeur ajoutée (luxe, artisanat, durable, etc.) ; la globalisation, qui augmente le degré de compétitivité ; l’arrivée des « gros comptes » au détriment des petits clients ; Internet et la perte de quelques fonctions auparavant détenues par le vendeur telles que la délivrance d’informations exclusives. Tout change et il devient urgent de s’adapter quelque peu pour rester compétitif. Anne Coïa, ancienne cadre chez GSK sur le point de lancer sa start-up, a réagi très positivement à ce constat : « la cocréation m’inspire, car je sais que je devrai faire cohabiter les attentes des uns et des autres. Je suis prête à voir mon projet évoluer drastiquement suite aux retours de mes clients. »

Cocréer, d’accord. Mais avec qui ?

Avec le client, qui désire davantage qu’un produit bêta pour pallier ses besoins ! Toute la matinée était consacrée à cet apprentissage du contexte, du concept et du nécessaire glissement de la démarche de vente traditionnelle vers celle de la cocréation. La plupart des participants, déjà fort à l’aise avec les principes du design thinking, n’avaient encore qu’une vague idée de ce qu’était la cocréation. Certains pensaient déjà en appliquer les principes, sans savoir exactement comment les nommer, à l’instar de Mariana Stefanet, architecte d’intérieur : « Je pense que je fais déjà de la cocréation avec mes clients. Je vends de l’innovation et je souhaite comprendre l’approche commerciale qui peut s’y attacher. » Pour entrer dans la matière, Régis nous a invités à remonter aux origines du concept. Le concernant, tout a commencé par un travail de recherche universitaire autour de la question de l’avenir de la vente. Après 4 années d’enquêtes, le constat est celui-ci : les vendeurs sont une espèce en voie d’extinction, les rôles vendeur-acheteur n’ont plus de sens et ne pourront pas concurrencer le commerce en ligne. La vente, quant à elle, doit se réinventer et renaître dans une approche plus participative : ce sera la cocréation. En d’autres mots, il s’agit non plus de cibler, convaincre et vendre, mais d’interroger le client sur son besoin et de développer une solution ad hoc, à ses côtés. Les vendeurs s’effacent pour laisser place aux créateurs, dans une mécanique de vente qui colle déjà avec la réalité de nombreux designers. Cette « vente du futur » – 2020, d’après le titre que lui donne Régis laisse place à une relation de partenariat et à un nouveau climat de confiance. Une symbiose dans laquelle il existe une grande variété de connexions, de visions communes et de processus collaboratifs.

Faire avancer le bateau sans noyer les stakeholders

L’après-midi, Régis nous a plongés dans un jeu de rôle dans lequel nous devions faire avancer un bateau (notre projet) et son équipage (les stakeholders, ou parties prenantes) sur une grande roue en carton divisée en 24 quartiers. L’équipe gagnante était celle dont le bateau avait le plus avancé, sans distancer pour autant son équipage. Un exercice qui était de surcroît ancré dans la réalité, puisqu’il nous projetait dans une situation réellement vécue, entre les entreprises SAP (softwares) et Barco (écrans et projecteurs). La première ne parvenant pas à convaincre la seconde de consommer son nouveau service, elle a tenté l’approche de la cocréation. Selon Régis, après peu de temps de cette nouvelle relation, il devenait impossible de déterminer qui appartenait à quelle entreprise lors de leurs réunions. À nouveau, nous avons été rassemblés en groupes de 5 à 6, et avons reçu notre bateau, son équipage de 8 personnages (représentant les managers de SAP et de Barco) et un manuel de jeu de 40 pages. En tant que consultants, notre job était de guider tout ce petit monde vers une première approche de la cocréation. Aidés par une application en ligne, nos choix d’actions sont à chaque fois ballants entre management et leadership, et il est apparu compliqué de convaincre tout le monde des bienfaits de la cocréation. « Quand on vend de cette manière au client, on lui demande de changer. Et quand on parle de changement, on parle de résistance. C’est la même chose dans ce jeu », nous a confié Régis. Tour après tour, chaque équipe a fait avancer (et parfois reculer) son bateau et ses personnages sur la grande roue. Dans le même temps, Régis nous explique les processus en cours et nous apprend qu’il existe des étapes nécessairement ordonnées :
La prise de conscience : conscientiser le client qu’il est dans son intérêt de changer quelque chose ;
La vision : un ingrédient essentiel à l’établissement de la confiance est de partager ses intentions en toute transparence ;
L’engagement : établir des rôles, un calendrier, des ressources et s’engager mutuellement dans le démarrage du projet ;
L’action : donner le « kick-off », développer un projet pilote, expérimenter, trouver de premiers utilisateurs, etc. ;
Implémentation : mise en route et commercialisation ;
Apprentissage : l’étape de clôture, qui permet de faire évoluer le projet et de peut-être en démarrer un nouveau.

Think different !

Cette méthodologie du changement présentée par Régis a déjà germé dans quelques esprits, dont ceux du duo Jean-Marc Vandewalle et Grégoire Leman, en cours de développement d’un nouveau produit culinaire : « la cocréation devient de plus en plus évidente aujourd’hui, car elle se traduit en gain de temps pour le client et on est sûrs de répondre correctement à un besoin. » Blandine Jouni est consultante en expérience client et s’exprime avec le même entrain : « C’est avec la cocréation que je définirai mon offre de service. » La vente aura été le sujet du jour, sous un angle très « design thinking », qui pourra inspirer ou conforter de nombreux designers sans leur approche client.

Article rédigé par Thibault Charpentier, Les Écrits du Web
Toutes les photos sont de Jonas Verbeke ; crédit photos © Jonas Verbeke